Des fourmis dans les jantes - Episode VI

La Grande Traversée

Au petit matin, le soleil me pousse du coude. Je prends mon bain au milieu de la rivière en contemplant mon spa : des collines forestières, séchant la rosée à la chaleur des premiers rayons. Avant de fonder un camp de vacances pour adultes, Dieu devait être garçon de bain. Je ne peux hélas m’attarder dans cette thalasso, car une cure d’un autre genre m’attend sur l’île de Ré

Nous traversons à présent le Périgord vert indigo blanc. Dépassons Périgueux, puis Ribérac après laquelle nous laissons définitivement le Périgord black blanc beur vert. Et l’humeur déjà nostalgique quittons ce pays de cocagne, jardin d’abondance soigné par des daltoniens.

Sur la route j’appelle Guillaume, le taulier de Adhérence Blister, pour évoquer ce phare éborgné. Apparemment, il suffirait de changer l’ampoule et c’est très facile. Pour ça, il faut retirer un machin optique, dévisser un objet, éviter de tirer sur les petits fils qui ressemblent à du réglisse et replacer une ampoule avec un certain culot. Normalement, c’est une opération de rien du tout réalisable en moins de 5 minutes, surtout si l’on ne distrait pas le garagiste.

La D 731 nous emmène à Barbezieux-Saint-Hilaire sur la route de Cognac, en plein pays de Saintonge. La vigne revient coloniser les abords vallonnés de la chaussée. Le vent du littoral commence à tousser, profitant sournoisement du relâchement du relief. Saintes est le lieu idéal pour entamer une carrière de martyr. On ne parle plus de motivation à ce stade, mais bien de récit de la Passion.

À partir de Rochefort, je n’ai guère pour rejoindre La Rochelle qu’une épaisse nationale rouge à deux-fois-deux-voies longeant la côte dans toute sa raideur. Le souffle atlantique redouble, les kilomètres s’égrènent dans la douleur. La Mash reste bloquée sur 80 km/heure, me faisant implicitement comprendre que dans cet équipage, l’un de nous deux est une charge inutile. Les poids-lourds qui nous dépassent s’amusent à créer de violents appels d’air, secouant mon frêle esquif bousculé par le tirant d’eau d’un supertanker indifférent.

La Rochelle ! Le bon port approche. Il suffira ensuite d’enjamber une sorte de passerelle insulaire et je serai attablé aux Portes-en-Ré chez mon ami Barthélémy. 

Passée la barrière d’octroi filtrant la foule sans-gêne qui, chaque été, menace d’importuner le Parisien en villégiature, je m’élance sur le pont. Celui-ci n’a pas l’air de vouloir de nous et fait bloc derrière le vent marin. Je progresse avec l’obstination d’un avant de rugby qui conquiert le terrain en poussant dans la mêlée. Pilier après pilier, l’ouvrage cède du terrain. J’arrive sur le rivage et peux rassurer Bart au téléphone sur mon arrivée imminente chez lui. 

Il se moque.

T’en as bien pour trois quarts d’heure.
Mais non, sur la carte c’est à côté.
Voilà, c’est ça. Allez, on t’attend quand même pour dîner.

C’est finalement un zombie hagard et glacé qui, après une heure de ronds-points et d’embruns, vient frapper aux Portes.