Des fourmis dans les jantes - Episode V

D’un château l’autre

Il est difficile de quitter une maisonnée endormie dont les hôtes ont tant fait pour votre bien-être et celui de votre monture. Entre les moignons de chipolatas, la brise du matin fait virevolter les dernières braises en direction des pinèdes de la réserve naturelle protégée.

Pas le temps de photographier les jolies couleurs que cela promet, il faut partir. La remontée vers le nord-ouest est à l’ordre du petit jour.  

Cette contrée de charme fait rappliquer des voyageurs de profils bien différents. J’en recense quatre. 

Les deux premiers sont le marcheur et le cycliste : en récompense de leur sueur écologique, la nature leur décerne des ampoules longue-durée et des tendinites durables. 

Vient ensuite l’automobiliste : en quarantaine derrière son hygiaphone de verre feuilleté, il méconnait le choc olfactif asséné par le vallon boisé succédant au champ de colza. Le seul pin qu’il sentira de son voyage tressaute nerveusement sous son pare-soleil. Son unique contact avec la nature sera celui de sa roue avant sur la colonne vertébrale du hérisson distrait.

Tandis que le motard va au contact des éléments. Ils le portent autant qu’il les affronte. Il accélère, débraye, négocie des changements de cap, tire des bords à travers des courants de départementales dissipées ; se grise au soleil et s’étourdit de vent. Affronte des vagues scélérates de ralentisseurs et les creux géants des nids de poule. Pour se mouvoir intensément dans les paysages déchaînés, seule la moto se prête aux grandes traversées.

Montauban

Les clochers se vouent à rappeler à l’étranger de passage que le plus beau moment du jour a sonné. Le déjeuner. Ce n’est pas une halte nécessaire pour satisfaire un besoin primaire. C’est une quête à l’intérieur de l’étape. Une balade motorisée entre les stands du Salon de l’Agriculture. 

Cela passe par des patrouilles entre les étals des marchés pour compiler en sandouiche une anthologie des meilleurs morceaux. Ou encore par me laisser conquérir par les chairs roses outrageusement appétissantes qui racolent le long de la grand’route. C’est à cette tentation là que je cède aujourd’hui, emportant ma cochonaille pour déjeuner en ville. 

Montauban est vide. Le Quercy est à table, volets tirés. Les places en briques médiévales flanquées de tours sont des majestés esseulées. Je leur rends hommage en déballant à leurs pieds mes sacrifices porcins.

Cette pause est l’occasion de repenser au camping de la C., dont je reste sans nouvelle et qui devait me communiquer les tarifs postaux.

Je rappelle.

- Ach, che n’ai pas pu regarder car Internet ne pas fonctionner auchourd’hui. Che vais demander à ma femme ou mon fils d’aller foir directement dans la Poste.

Le Périgord

Quittant la préfecture du Tarn-et-Garonne avec la Dordogne dans le viseur, nous déboulons dans le Périgord noir pourpre.

La Mash est devenue un véhicule à arrêts fréquents. Elle ne montre pourtant aucune faiblesse. Mais il devient très difficile de rouler sans s’interrompre pour fixer l’image des façades châtelaines ocrées par la chaude lumière du soir qui dans l’Iphone font si joli avec des applis. 

Point besoin de ralentisseurs dans cette région : les virages se visitent au pas, découvrant chacun un spécimen de bâtisse gaillarde escortée de tours girondes. Le moindre rocher est gardé par un donjon crénelé.

Ce tour en France pourrait trouver sa justification ici. À travers les bornes parcourues entre des forteresses patriarches surplombant des villages médiévaux. Leur splendeur conservée doit autant au génie de générations de maîtres maçons qu’à l’inventivité du législateur en matière de fiscalité sur les bâtiments classés. C’est beau.

Mais comme le dit Guillaume, le patron de Cadence Faster, « y a un moment faut rouler quoi ». 

Le soir nous trouve arrivant sur la Dordogne, en plein Périgord blanc noir. Plus question de chercher un emplacement clôturé. Au pays de Lascaux et de Cro-Magnon, j’aspire à exprimer ma nature sauvage, surtout en matière de camping.

Entre Siorac-en-Périgord et Saint Cyprien, nous explorons une piste discrète qui mène à la rivière. La Mash encaisse avec bonheur ce cross, et nous trouvons une garenne idyllique entre champs et flots. Aucune maison dans les environs pour cimenter le décor de notre bivouac. Après avoir monté ma tente, je pars ravager la cuisine charnue d’une auberge des environs.

Bref rappel au camping de la C. : a-t-il enfin pu s’enquérir du tarif pour l’expédition d’une humble paire de lunettes ?

Non, car gross malheur : ma femme elle être malade.
Et votre fils ?
Mon fils il être bras cassé.
Comme son père non ? Écoutez finissons-en. Vous ne pouvez pas aller à la Poste consulter les tarifs ? J’ai vraiment besoin de récupérer mes lunettes moi.
Non car la voiture être en panne.
Peut-être qu’il faut la réparer ?
Che n’ai pas argent pour la réparer. 


Il est grisant de rentrer lesté par les mangeailles régionales sous la nuit étoilée pour retrouver son campement tapi dans la campagne. Ce retour a un côté clandestin, contrebandier. Surtout dans l’obscurité totale, quand l’ampoule du phare avant a grillé et en s’éclairant à la lumière des clignotants et d’une lampe à manivelle Décathlon fixée au poignet. Le chemin quant à lui était résolument discret. Mais trois quarts d’heure de recherches et de va-et-vient suffiront pour retrouver son embranchement secret.